César Luis Menotti et la philosophie du jeu

César Luis Menotti était un entraîneur pas comme les autres qui a révolutionné le football argentin. Reconnu dans le monde du ballon rond comme un précurseur d’un football offensif où le jeu de passe est au cœur du jeu. Présent dans les années 1970, où la tactique connaîtra de profonds changements avec le football total sous la houlette de l’Ajax Amsterdam de Rinus Michels, son jeu et ses idées sont à la base du renouveau de l’Albiceleste dans les années 1970. Explications.

Tout a commencé à Rosario, où le jeune César Luis arrive au monde, le 22 octobre 1938. Quatre mois plus tôt se tenait la 3e Coupe du Monde en France, un mondial auquel l’Argentine ne participera pas en signe de boycott après une nouvelle organisation loin de l’Amérique du Sud. Le jeune Menotti fera ses premiers pas dans le monde du football comme joueur. Il attira les regards du Rosario Central, le grand club de la province de Sante Fe, une chance qu’il saisira puisqu’après six matchs avec la réserve, il jouera avec l’équipe première entre 1960 et 1963. L’attaquant argentin gagnera le surnom de « El Flaco » pour son physique peu athlétique. Les débuts de Menotti seront encourageants, il marquera 47 buts en 86 matchs pour Rosario, avant de découvrir d’autres aventures. Il voyagera de club en club, d’abord au Boca Juniors en 1966, avant de connaître les États-Unis puis le Brésil de Pelé et du Santos FC, avec lesquels il gagnera un Campeonato Paulista en 1968.

« Le coup de foudre philosophique »

Retraité l’année suivante, il se rendra au Mexique pour assister au mondial 1970, un déclic pour Menotti qui ne verra plus le football de la même façon. Le coup de foudre philosophique entre le ballon et El Flaco ne fera plus aucun doute quand le retraité a observé avec admiration le jeu léché de la Seleção ; le Brésil des Pelé, Jairzinho, Tostão éblouira le mondial d’un talent offensif qui atteindra son paroxisme en finale contre l’Italie, qui ne fera pas le poids face à l’armada offensive brésilienne. La Squadra Azzura de Ferruccio Valcareggi ne pourra rien faire face aux vagues offensives auriverde, le score est sera appel, 4-1 et l’Italie devra attendre douze ans avant de se hisser à nouveau en finale. La leçon tactique d’un football offensif, avec le 4-4-2 de Mario Zagallo, articuler autour deux milieux très offensifs, des latéraux qui jouent des deux côtés du terrain, et bien sûr le trident offensif qui anéantira tout sur son passage. C’est à ce moment-là que Menotti va se lancer dans une nouvelle carrière, sur le banc de touche, marquant le début d’une grande carrière qui va bien au-delà du football.

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Le nouvel entraîneur du Newell’s Old Boys va poser les premières bases de sa vision du jeu, avec un football porter vers l’avant ; c’est ainsi que sous sa houlette, la science du beau jeu s’installera en Argentine. En 1973 la consécration du style de jeu prôné par Menotti se produira avec Huracán, avec le club de Buenos Aires il remportera le Championnat Metropolitano d’Argentine. Tout le pays est alors sous le charme d’El Flaco, le charisme que dégage l’entraîneur est indéniable. La révolution philosophique du jeu qu’il a imposée à ses équipes lui permettront d’insuffler une nouvelle dynamique à l’Albisceleste dont il prendra les rênes en 1974. L’aventure qui commencera avec la sélection restera dans les mémoires des argentins. Sous ses ordres, les Mario Kempes, Daniel Passarella ou Ubaldo Fillol connaîtront la gloire, avant de tutoyer les sommets.

Menotti sur le banc. | Crédit image : DW.com

La première compétition de Menotti n’aura pas le succès escompté. La Copa America 1975 verra l’élimination de l’Argentine dans le dernier match de poule après une défaite 1-0 face au Brésil, avec déjà un football porté vers l’attaque qui privilégie le spectacle au pragmatisme de la victoire. Mais les débuts de Menotti à la tête de la sélection argentine ne seront pas de tout repos, privée de plusieurs cadres après le refus du Boca et de River Plate de mettre à disposition leurs joueurs, il construira une équipe de combattant, propulsant la carrière de joueur comme Daniel Passarella, son futur capitaine en 1978. La Copa de 1975 verra L’Albiceleste inscrire 17 buts en quatre matchs et l’attaquant Leopoldo Luque finira meilleur buteur avec quatre réalisations. Les bases de la philosophie du tacticien seront posées, l’Argentine va pratiquer un football offensif, créatif, et les hommes de Menotti suivront cette philosophie à la lettre.

Au cours de cette même année 1975, Menotti dirigera la sélection U23 pour le Tournoi de Toulon, les jeunes argentins iront conquérir le trophée avec la découverte d’un jeune de River Plate, le latéral Alberto Tarantini. Le style de jeu du sélectionneur sera repris au sein des sélections argentines. Il pouvait maintenant se concentré sur le prochain objectif, la Coupe du monde 1978 en Argentine. Le pays ne pouvait rêver mieux pour renouer avec son flamboyant passé international, mais un coup d’état militaire chamboulera profondément l’équilibre de toute l’Argentine.

Triomphe de l’Albiceleste

Un coup d’État militaire viendra marquer une triste période de l’histoire argentine, la dictature du général Jorge Videla qui dirigea le pays de 1976 à 1981, commettra meurtre et enlèvements, sous la représsion militaire près de 30 000 personnes disparaîtrons, si ce n’est plus, alors que selon le général lui-même “sept mille et huit mille personnes” seront assassinées sous son régime. César Menotti, militant communiste, sera inquiet de la situation politique, alors qu’il verra ses employeurs de l’AFA – fédération argentine de football – disparaître après le coup d’état. Il présentera sa démission, mais il sera dissuadé par le nouveau président de la Fédération, Alfredo Cantilho. Le sélectionneur argentin et le régime de Videla garderont leurs distances, alors que les idées communistes d’El Faco ne plairont pas à un régime qui voit en lui un potentiel opposant politique.

Les tensions montèrent entre Menotti et le régime, car au cours d’un rassemblement avec la sélection, il voulut mettre une chanson de la chanteuse Mercedes Sosa – membre du parti communiste argentin, elle sera persécutée par le régime l’obligeant à fuir le pays -, mais il se vit refuser la demande. La chanson était interdite par le régime, une contrariété pour Menotti qui ne manqua pas de s’expliquer avec les militaires. Il se rendit dans le bureau d’un militaire, et aperçu sur le bureau du dernier « une liste noire » où figurait son nom, un souvenir qui le marquera profondément. Un autre épisode le verra être confronté à la violence des militaires, alors qu’il était à un contrôle routier, il sera « jeté au sol » par des militaires, qui s’aviseront d’aller plus loin en le reconnaissant. Inquiet de voir sa vie en danger et ses idées soumises au contrôle du régime, l’AFA soutiendra le travail de Menotti et préservera son indépendance, même s’il avouera plus tard qu’il hésita à plusieurs reprises a quitté les rênes de la sélection. Dans l’agitation et la pression des militaires, l’Albiceleste a tout de même pu poursuivre sa préparation pour le mondial 1978.

César Menotti avait à sa disposition beaucoup de joueurs de talent. Il a dû faire des choix difficiles pour choisir son équipe. La pression était forte autour d’un jeune de 17 ans qui électrisait les foules, un certain Diego Armando Maradona ; sélectionné pour la première fois à 16 ans, il ne sera pas retenu par Menotti, un choix qui empêchera Maradona de rejoindre Pelé au panthéon des plus jeunes lauréats du mondial. Une non-sélection qui peut paraître difficilement compréhensible de nos jours, mais El Flaco expliquera son choix fort aux journalistes « Parce que j’avais peur, il était si jeune, si petit, je devais choisir de grands hommes. » a-t-il déclaré. Un autre choix difficile fut celui d’écarter Ricardo Bochini, un milieu virtuose de la passe, vedette du CA Independiente des années 1970-80, El Bocha remporta de multiples titres nationaux, continentaux, mais il n’entrera pas dans les plans de Menotti, alors que le poste de gardien sera confié à Ubaldo Ulliol, laissant le légendaire Hugo Gatti sur le banc. La presse, l’opinion et le régime attendaient Menotti au tournant, tout un pays était derrière l’Albiceleste, désireux de voir la sélection soulever la Coupe du monde pour la première fois. Conscient que ses choix seront remis en cause en cas d’échec, Menotti était sous la pression du régime de Videla, soucieux quand à lui d’offrir un spectacle réussi au monde entier.

Menotti à côté du jeune Maradona. | Crédit image : Commons. Wikipedia.org

L’Albiceleste va ouvrir le bal avec une victoire dans la douleur face à une Hongrie, qui sera réduite à neuf après l’exclusion des deux attaquants hongrois en toute fin de match. Après une nouvelle victoire contre la France 2-1, les argentins vont perdre contre l’Italie et montrer des limites défensives, alors que l’inspiration des attaquants n’était pas au rendez-vous. Au second tour, l’Argentine de Menotti va se qualifier avec une victoire 6-0 sur le Pérou ; contestée, cette rencontre fait toujours débat aujourd’hui. Le jeu proposé ce soir-là par l’Argentine sera spectaculaire, il est vrai bien aidé par une équipe péruvienne déjà éliminée, qui montrera des faiblesses défensives douteuses. Néanmoins les onze argentins présents sur la pelouse de l’Estadio Gigante de Arroyito vont régaler les spectateurs, les péruviens seront impuissants et l’addition aurait pu être plus lourde. Mais l’essentiel était ailleurs, emmenée par un Mario Kempes au sommet de son art, et transcendée sous le commandement de César Menotti, l’Argentine se hissera en finale. Elle retrouvera la finale du mondial après la première édition en 1930, perdue contre le rival uruguayen.

D’après Daniel Passarella « Le sélectionneur a réalisé un travail exceptionnel afin de changer notre mentalité (…) Menotti a aussi révolutionné la manière d’aborder la compétition. Il a instauré un niveau d’entraînement très élevé, avec le professeur Ricardo Pizzarotti, notre préparateur physique. »

Le technicien savait faire ressortir le meilleur de ses joueurs, chacun des joueurs apportait quelque chose à l’équipe, la confiance d’un Fillol, le leadership défensif d’un Passarella, les percées virevoltantes d’un Valencia ou les buts d’un Mario Kempes, montreront au monde entier la force du onze argentin. Le soutien populaire des plus de 70 000 spectateurs de l’Estadio Monumental de Buenos Aires se fera entendre, faisant office de douzième homme. Pour le dernier match, l’Argentine sera opposée à une équipe qui pratique un football révolutionnaire, les Pays-Bas du tacticien Ernst Happel. Tout juste finalistes face à la RFA quatre ans plus tôt, mais privés de leur maestro Johan Cruyff, les Hollandais craqueront en prolongations. Les argentins seront champions du monde grâce à un doublé de Kempes et un but de Bertoni qui permettront aux Argentins de jubiler, victoire 3-1 et le pays oubliera pendant quelques instants les crimes et les tortures du régime de Videla, pour se livrer à une fête de Buenos Aires à Mendoza, tout le pays célébrera ses héros nationaux.

Un échec cuisant et une suite en pointillé

La suite de la carrière de Menotti sera fort différente. L’année suivant son sacre mondial, il remportera la Coupe du monde U20 1979 avec les jeunes argentinos, emmenés par la pépite Maradona. Prochain rendez-vous en Europe sur les terres d’Espagne, où se jouera la Coupe du monde 1982, un mondial cauchemardesque pour sa sélection. Il fera cette fois-ci le choix de sélectionner Maradona, mais l’aventure espagnole tournera court. Qualifiés au second tour d’un petit point devant la Hongrie, l’Albiceleste et Maradona verront rouge dans la deuxième phase de groupe, derniers derrière l’Italie et le Brésil, ils rentreront plus tôt que prévu à Buenos Aires, l’Argentine tombe de haut. Il sera renvoyé et remplacé par Carlos Bilardo, futur champion du monde en 1986 au Mexique.

Les deux sélectionneurs au style radicalement différent ne s’apprécient pas, et l’opposition entre les deux sélectionneurs est allée loin. Les partisans du beau jeu de Menotti sont surnommés les menottistes, face à eux, les bilardistes, soutien de Bilardo, qui prône un jeu plus pragmatique, tourné vers la victoire, si ce n’est au prix du beau jeu. Même si aux yeux du principal intéressé ce débat est une « connerie », il continuera de diviser les argentins, Kempes ou Maradona, 1978 ou 1986, Menotti ou Bilardo ? Le choix peut être vite fait, mais ils sont les seuls à avoir ramené un titre à l’Albiceleste, bien que Maradona essayât de faire le doublé sur le banc à la Coupe du monde 2010, une tentative sans succès…

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Menotti fera une pause avant de revenir sur le banc en 1983 pour coacher le FC Barcelone. Plombé par des résultats décevants, malgré des titres en coupes nationales, il échouera en championnat en finissant à la troisième place, à seulement un petit point des rivaux du Real Madrid et de l’Atlético Madrid champion cette saison-là. La direction catalane ne lui pardonnera pas cette désillusion, après quoi il sera remercié au bout d’une saison. La suite sera difficile, il enchaînera des piges sans succès, néanmoins il dirigera de grands clubs comme le Boca Juniors, Peñarol, l’Atlético Madrid, River Plate, le CA Independiente, la Sampdoria de Gênes ou la sélection mexicaine. Mais la flamme qui était la sienne après le succès de 1978 ne se rallumera plus, ne restant pas plus d’un an, changeant quatorze fois de club pendant les vingt-cinq dernières années de sa carrière de coach, qui se finira en deuxième division mexicaine avec l’Estudiantes Tecos.

Menotti avec la Coupe du monde. | Crédit image : Commons.Wikipedia.org

Une empreinte et un héritage

Cigarette à la main et manteau sur le dos, Menotti ne manque jamais une occasion pour expliquer son approche du football. Ardent défenseur du jeu de possession, où les passes sont privilégiées aux exploits individuels, il sera un expert des contre-attaques dans son système en 4-3-3, notamment avec l’Argentine en 1978, où les hollandais seront perdus face au changement de rythme et aux longues transversales qui coupèrent en deux les Oranje, battus une seconde fois d’affilée en finale du mondial.

« Le ballon est pour les joueurs ce que les mots sont pour les poètes, considère d’ailleurs Menotti, dans leurs pieds ou dans la tête de certains d’entre eux, ils se transforment en œuvre d’art. Ce que m’a donné de plus important le football, c’est que j’y ai trouvé une forme d’expression. » a-t-il déclaré.

Selon lui le football est un art, il repose sur plusieurs aspects du jeu qui sont essentiels à la tactique. Tout part de derrière avec une défense robuste et solide, capable de suppléer les milieux dans la récupération du ballon, pas étonnant donc de voir le rôle central qu’a occupé le capitaine de l’Albiceleste, Daniel Passarella, patron d’une défense de fer qui n’hésitera pas se projeter vers l’avant. Menotti insistera sur l’importance de la création dans l’entrejeu, une liberté primordiale pour déstabiliser des défenses bien en place, comme celle des Pays-Bas qui ne pourra rien faire devant la vista et la créativité de Daniel Bertoni et Américo Gallego dans l’entrejeu, laissant la responsabilité à Mario Kempes et Leopoldo Luque d’envoyer le cuir au fond des filets. Mais dans le fond le plus important pour lui c’est la possession du ballon, c’est même “ une nécessité” selon lui.

L’empreinte laissée par le coach à l’allure de rebelle, sera inscrite à jamais dans le cœur des argentins. Opposé au code de la dictature, partisan communiste, il a représenté un symbole de la culture populaire dans une période sombre de l’histoire argentine. L’assurance et la confiance dégagées par El Flaco au look de professeur de philo, a séduit de nombreux entraîneurs qui n’ont pas manqué à demander conseil auprès de lui. Par exemple, Pep Guardiola a rencontré le coach argentin avant de prendre ses fonctions au FC Barcelone, une admiration réciproque, puisque le coach argentin est un grand fan de l’entraîneur de Manchester City. Lors de leur première rencontre, Menotti lui dira « Je crois que le football vous a beaucoup donné et pour cela, vous avez certaines obligations envers lui. Vous êtes largement préparé pour devenir l’un des meilleurs entraîneurs du monde ». La philosophie de l’ancien blaugrana se rapproche de celle de Menotti, c’est pourquoi les deux hommes se comprennent et se respectent. L’empreinte tactique qu’il a laissée est immense et indélébile dans le monde du football, en quelque sorte il avait une autre vision du football, qui lui permettait d’être en avance sur son temps, révolutionnant les principes d’un football argentin tourné vers le spectacle et le beau jeu.

Malgré des problèmes de santé qui l’auront conduit à l’hôpital de Buenos Aires– hospitalisé en soins intensifs pour des problèmes pulmonaires en 2011 -, il continuera de se battre, pour sa vie et sa passion du football. En janvier 2019, il a été nommé directeur des sélections nationales argentines, un nouveau poste à la clé pour l’infatigable octogénaire. César Luis Menotti continue de dédier sa vie au football, rythmée par une seule passion, l’amour du ballon rond.

Citations :

Lucarne Opposée

Coupe du monde Inside écrit par Bernard Lions

Eurosport

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