Eusébio à la conquête de la Couronne

Avant Cristiano Ronaldo et Luis Figo, le football portugais avait donné naissance à une autre légende : Eusébio. Véritable icône du Benfica Lisbonne, il a révolutionné le football lusitanien en hissant le Portugal au sommet du football mondial lors de la Coupe du monde 1966.

Né à Maputo, capitale du Mozambique, Eusébio est le fils d’un père portugais et d’une mère mozambicaine, il va faire ses premiers pas sur les terrains vagues de son quartier de Mafalala. À l’aide d’un ballon de fortune fait de chaussettes, il fait mordre la poussière à ses camarades de jeu, premières victimes du talent d’Eusébio. Au Mozambique, alors colonie portugaise, le jeune métis débute sa carrière de footballeur. Mais tout n’est pas si simple pour Eusébio da Silva Ferreira. A 15 ans, il essuie à son grand regret un premier échec. Alors à la recherche d’un club pour se former, il passe un essai au Grupo Desportivo de Lourenço de Marques. Un club qui n’est pas choisi au hasard par le jeune prodige qui souhaite le rejoindre de tout son cœur. Lire également rugbystore.

Fervent supporter du Benfica Lisbonne depuis sa tendre enfance, il caresse le rêve de pouvoir signer un jour chez les Aigles. Or le Grupo Desportivo sert de satellite au club lisboète qui a recruté en 1954, Mario Coluna, le futur capitaine du Portugal au Mondial 66. Mais Eusébio est refoulé. Un coup dur qui n’affecte pas la détermination de l’adolescent qui tente sa chance chez son rival, le Sporting Club de Lourenço-Marques, affilié au Sporting Lisbonne. Cette fois-ci c’est la bonne, Eusébio rejoint le Sporting Club et voit sa carrière décoller pour de bon.

Dès sa première saison, ses qualités techniques et athlétiques impressionnent ses entraîneurs qui n’hésitent pas à le surclasser. Mais ses exploits balle au pied traversent le continent africain et atteignent les oreilles d’un géant du football italien. Après une visite au Mozambique, des émissaires de la Juventus de Turin sont séduits par son talent. Ils décident de lui offrir un contrat pour rejoindre la Botte. C’est une occasion en or pour Eusébio, mais il ne cède pas aux sirènes de l’étranger et décide de continuer chez lui au Mozambique. Dans un coin de sa tête, le prodige garde toujours la même idée en tête, rejoindre le Benfica Lisbonne. C’est aussi pour lui une manière de rendre hommage à son père, décédé du tétanos alors qu’il n’avait que huit ans, et fan du Benfica.

Eusébio no Sporting de Lourenço Marques ~ O Curioso do Futebol
Eusébio avec le maillot du Sporting Club de Lourenço-Marques | Crédit image : O Curioso do Futebol

Le destin d’Eusébio change complètement en 1960. Le jeune adolescent grandi à une vitesse folle. Il compte déjà 77 buts en l’espace de seulement 40 matchs. Des statistiques incroyables qui sont à la hauteur de son talent, trop grand pour le Mozambique. Pour son plus grand bonheur, il a tapé dans l’œil de nombreuses équipes, dont le Sporting Portugal et le Benfica Lisbonne. Le rêve de Eusébio va devenir réalité. Mais son transfert rocambolesque va lui faire vivre plusieurs mois d’incertitude. Le Benfica arrive à conquérir sa famille pour lui offrir un contrat au plus vite. Dans le même temps, le Sporting Portugal signe aussi un contrat avec le jeune prodige.

Eusébio se retrouve au milieu d’une lutte politique entre deux clubs et un pays muselé sous la violente répression de la dictature salazariste. Il est emmené à son arrivée en décembre 1960 dans un hôtel au bord de la côte portugaise, dans l’Algarve. Il reste caché sous surveillance pendant cinq mois, le temps que le Sporting ne puisse lui mettre la main dessus, et que le Benfica sécurise le contrat de son poulain.

Le nouveau Pelé 

Eusébio arrive à l’époque dans une équipe qui a tout gagné ou presque. Champions du Portugal pour la onzième fois de leur histoire, les Aigles vont remporter leur première Coupe des clubs champions en 1961, sans Eusébio qui n’est pas inscrit sur la feuille de match pour disputer la finale. Ses débuts officiels se feront le 23 mai 1961, à l’occasion d’un match amical contre l’Atletico Clube de Portugal. Eusébio est remplaçant en première période, mais il fait sa grande entrée pour le deuxième acte. Une chance qu’il saisît pour montrer à son entraîneur pourquoi on l’avait choisi. Déchaîné sur la pelouse, il marque un triplé tonitruant et laisse pantois ses partenaires, déjà sous le charme des courses endiablés du natif de Maputo.

Lire aussi : Héctor Scarone, le magicien uruguayen

Quelques semaines plus tard, il rencontre le roi Pelé en France. Au cours du tournoi international de Paris le Santos de Pelé affronte le Benfica d’Eusébio. Le match amical est une promenade de santé pour le club brésilien qui s’impose 6 à 3 grâce à un doublé de sa star. Mais l’essentiel est ailleurs pour Eusébio qui vient une nouvelle fois d’impressionner la galerie. En l’espace de quarante-cinq minutes, il se fait un nom en inscrivant un nouveau triplé. Subjugué par le talent du portugais, le journal L’Equipe titre en une « Eusébio 3, Pelé 2 ». C’est la consécration pour le jeune attaquant de 20 ans qui va très vite devenir le meilleur joueur du continent.

Remembering the three rare but momentous occasions when Pelé and Eusébio squared off
Eusébio en compagnie de Pelé | Crédit image : Thefootballtimes.co

L’année suivante, celui qu’on surnomme la « Panthère Noire » va guider son équipe au sommet de l’Europe. Le 23 mai 1962, Benfica affronte le Real Madrid en finale de la Coupe des Clubs Champions – l’actuelle Ligue des champions. Champion d’Europe en titre, le club lisboète va avoir fort à faire face à l’ogre espagnol qui avait conquis les cinq premières éditions.

Emmené par un duo mythique composé de Alfredo Di Stefano et Ferenc Puskas, le Real prend le meilleur sur Eusébio et les siens en première période. Un triplé du phénoménal Puskas permet aux Merengues de mener 3 buts à 2 à la pause. Mais la seconde mi-temps est celle d’Eusébio. À la 63e minute de jeu, la Panthère Noire inscrit un penalty pour remettre les deux équipes à égalité. Cinq minutes plus tard, il contourne le mur madrilène pour marquer un coup franc. Eusébio plante un doublé et Benfica conserve son titre continental. Mais ce trophée n’a guère d’importance pour le jeune prodige portugais, qui n’avait qu’une seule chose en tête : « J’étais jeune et naïf. La Coupe d’Europe n’avait pas beaucoup d’importance pour moi. La chose la plus importante pour moi, c’était le maillot de Di Stéfano que j’ai encore aujourd’hui. ».

Objectif Coupe du monde

L’ascension fulgurante d’Eusébio ne fait que commencer. Ses dribbles ravageurs et sa frappe de balle hors du commun font de lui l’arme numéro un des Aigles. Pendant les quinze années qu’il passe dans la capitale portugaise, il va inscrire pas moins de 473 buts en 440 matchs. Un total phénoménal qui témoigne du talent de buteur d’Eusébio. Mais ses dribbles et son instinct de buteur ne sont pas les seules qualités du portugais sur un terrain de football. Comme son surnom l’indique, il va vite, très vite. Tel une panthère, il va plus vite que tous ses adversaires, courant un 100 mètres en moins de 11 secondes.

Lire aussi : Pelé, la naissance du Roi

Jamais rassasié par les victoires, il empile les trophées avec Benfica. Onze titres de championnat national, cinq Coupes du Portugal, et une Coupe des Clubs Champions. Mais le point d’orgue de la grande carrière du portugais arrivera en 1965 et en 1966. Deux années fantastiques au cours desquelles, il va régner sans partage sur le football mondial. Après une saison 1964-1965 magistrale sur le plan statistique : 55 buts en 43 matchs toutes compétitions confondues. Meilleur buteur du championnat portugais et de la Coupe d’Europe, il remporte un nouveau championnat national et échoue en finale de Coupe des Clubs Champions contre l’Inter Milan.

Mais le plus grand accomplissement d’Eusébio en 1965 reste sa fabuleuse campagne de qualification pour la Coupe du monde 1966. Avec le Portugal, il inscrit 7 des 9 buts de la Seleção pour finir meilleur buteur des éliminatoires. Mais surtout il qualifie pour la première fois de son histoire le Portugal à la Coupe du monde, éliminant au passage la Tchécoslovaquie finaliste du dernier Mondial. Cette année se termine en beauté pour la panthère noire qui décroche le très prestigieux le Ballon d’Or. Une première pour un Portugais. Une première pour un joueur d’origine africaine, trente ans avant George Weah, premier africain à devenir Ballon d’Or. Eusébio rentre un peu plus dans la légende à seulement 23 ans.

Six mois plus tard, Eusébio s’envole pour l’Angleterre. Là-bas il rentre définitivement dans la l’histoire. Le Portugal va avoir fort à faire dans le Mondial 66. Les Lusitaniens sont placés dans le groupe de la mort, aux côtés du Brésil, doubles champions du monde en titre, de la Hongrie de Florian Albert, Ballon d’Or en 1967, et de la Bulgarie. Eusébio va crever l’écran devant les caméras du monde entier. Muet contre la Hongrie, il lance son tournoi contre la Bulgarie en inscrivant un premier but. Le premier d’une longue série dans la compétition puisqu’il va marquer à tous les matchs qui suivront.

Le Portugal joue son dernier match de groupe contre le Brésil. Quasiment éliminés, les Brésiliens étaient dans l’obligation de s’imposer pour espérer rejoindre les quarts de finale. Le Portugal va s’en remettre à son trio offensif du Benfica : Antonio Simoes, José Torres et Eusébio. La grande complicité entre les attaquants des Aigles va déjouer la défense auriverde. Un premier coup de tête de Simoes à la 15e minute, sur un service de Eusébio va donner l’avantage aux portugais. La suite appartient à l’histoire. Dix minutes plus tard, Torres du haut de son mètre 91, donne un coup de casque à destination de Eusébio qui fusille le gardien brésilien de la tête. Le Portugal mène deux à zéro après trente minutes.

En seconde mi-temps, Eusébio passe tout près du doublé à plusieurs reprises. Il trouve finalement la faille à cinq minutes de la fin. Sur orbite, il envoie un boulet de canon dans les cages de Manga, le gardien brésilien, qui sera totalement désemparé face au génie de l’attaquant portugais. Le Portugal s’impose 3 à 1 et élimine le Brésil. C’est un coup de tonnerre en Angleterre. Le Portugal outsider devient un des grands favoris pour remporter le trophée Jules Rimet.

À jamais dans l’histoire

En quart de finale, c’est la surprenante Corée du Nord qui se dresse sur le chemin du Portugal. Les asiatiques avaient à la surprise générale éliminé l’Italie. Ce match va être la rencontre la plus spectaculaire de la quinzaine. Contre toute attente les portugais se retrouvent menés 3-0 après 25 minutes de jeu. La foule est en délire au Goodison Park de Liverpool, entièrement acquise aux vaillants nord-coréens. Mais Eusébio n’est pas venu ici pour se faire humilier. Deux minutes après le troisième but coréen il réduit la marque. Rebelotte à la 43e minute sur penalty.

Au retour des vestiaires, la Panthère Noire est déchainée. Il ne fait qu’une bouchée des nord-coréens qui vont devoir s’incliner face à la puissance du Ballon d’Or. Eusébio marque deux autres buts en trois minutes pour permettre au Portugal de s’imposer. Il signe ce jour-là une des plus grandes performances individuelles de l’histoire de la Coupe du monde, devenant seulement le quatrième joueur à inscrire un quadruplé dans la compétition. Grâce à lui, le Portugal poursuit l’aventure.

Lire aussi : Bellini, un défenseur hors pair

La demi-finale est un des moments les plus douloureux de la carrière d’Eusébio. Battu 2 buts à 1 après un doublé de Bobbie Charlton, Eusébio va voir son rêve de champion du monde s’envoler. La star portugaise est abattue après le coup de sifflet final. Ses larmes marqueront les esprits, c’est pourquoi ce match est surnommée au Portugal « Jogos das Lagrimas » ou le Match des larmes en français.

Le quatrième but d’Eusébio contre la Corée du Nord | Crédit image : Imago

Quelques jours plus tard, Eusébio se console avec une troisième place contre l’Union Soviétique. Il marque de nouveau sur penalty, comme contre l’Angleterre. La Panthère Noire quitte l’Angleterre avec un goût amer. Une déception atténuée par le titre de meilleur buteur du Mondial, une récompense bien méritée pour l’un des meilleurs joueurs de cette édition. De retour à Lisbonne, il continue de martyriser les défenses adverses. Buteur exceptionnel il décroche deux Souliers d’or, récompensant le meilleur buteur des championnats européens. Dont le premier soulier de l’histoire décerné en 1968 avec un total de 42 buts.

Après 15 ans de bons et loyaux services pour son club de cœur, il quitte les Aigles pour tenter sa chance en Amérique du Nord. Il découvre le Mexique et les États-Unis avant de raccrocher les crampons en 1980. À sa mort en 2014, Eusébio laisse un vide immense dans le cœur des portugais. Considéré comme le meilleur joueur de l’histoire par Alfredo Di Stefano, Eusébio est un héros national qui aura été la première vedette du football portugais. Sa statue qui trône devant le Stade de la Luz illuminera à jamais la légende du Benfica.

Crédit image : Imago

Tagged 1966, Angleterre, Ballon d'or, Benfica, Bobby Charlton, Corée du Nord, Eusébio, Mozambique, Portugal,

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.